
Naima Fdil est originaire du village d'Ait Majber dans la vallée de Dades. Aujourd'hui docteur scientifique au laboratoire des analyses cliniques du CHU de Marrakech, elle a fondé en 2005 l’Association Féminine pour le Développement de la Famille dans l'objectif d'accompagner l'émancipation des femmes de sa région natale. Elle a reçu en 2013 le grand prix international Terre de Femmes de la fondation française Yves Rocher.
C’est l’histoire d’un retour aux sources. Le retour réussi et généreux d’une enfant du pays. Naima Fdil est originaire de Ait Majber, un minuscule douar coincé entre la vallée et l’oued de Dades à plus de 300 kilomètres de Marrakech. La vie dans ce petit village isolé est rude, le confort plus que sommaire et le quotidien rugueux, particulièrement pour les femmes.
Naima Fdil de l'association AFDF au MarocNaima est une femme de Dades. Elle ne l’a jamais oublié. Mais Naima a eu la chance de vivre et faire des études à Marrakech. Aujourd’hui elle mène une brillante carrière de docteur scientifique au laboratoire des analyses cliniques du CHU de Marrakech, mais n’a jamais tourné le dos à ses sœurs d’Ait Majber.
C’est pour elles qu’en 2005 Naima crée et préside l’AFDF, l’Association Féminine pour le Développement de la Famille, pour permettre aux femmes de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs enfants grâce à la culture, la récolte et la distillation des roses locales. La rose en effet le seul et unique trésor de cette région très pauvre. « J’ai toujours eu conscience de ma chance, raconte-t-elle. Mon père était fonctionnaire, il a quitté le village pour travailler en ville. J’ai eu la possibilité de faire des études et de m’émanciper. Mais je suis toujours retournée au village pour les vacances et en voyant ces femmes, les voisines, les amies, mes cousines ou mes tantes, je me suis toujours dit que j’aurais pu être à leur place et subir la vie d’une femme rurale, sans voix, sans droit et sans ressource. »
Car selon Naima, il s’agit bien de cela de pauvreté, de privations matérielles et de soumission. Engagée et révoltée, elle mène une action de féminisme tranquille sans bousculer les hommes ou les traditions, en attaquant le problème à la racine : l’économie et le travail des femmes. « Plutôt que de faire de l’humanitaire, j’ai pensé qu’il serait plus efficace de donner aux femmes les moyens de leur subsistance. Au Maroc, les femmes sont les piliers de la famille et de la société. Il est essentiel de les soutenir. À Ait Majber, elles étaient condamnées. Aucune femme de la rive Est n’a eu le bac. Elles n’ont jamais été autorisées à aller plus loin que le primaire, car à partir d’un certain âge elles étaient obligées de rester à la maison, se marier et obéir à leurs maris, leurs frères ou leurs pères. Avec les récoltes et la distillation des roses, elles se sont affranchies du joug des hommes grâce au fruit de leur travail… et de ce trésor rose qu’elles ont à portée de main. »
En quelques années seulement, Naima a transformé la vie de cette vallée. Avec son association elle a formé les femmes du village à la récolte de la rose mais aussi et surtout à sa transformation. Distiller. Trois syllabes qui font la différence. Grâce à l’extraction artisanale de l’essence de rose, les femmes d’Ait Majber ont pu résister aux usines alentours qui achetaient les roses à un prix dérisoire. Elles maitrisent dorénavant la transformation du produit, imposent leurs règles et leurs prix de vente.
Elles ont compris qu’elles aussi avaient le droit d’exister
« C’était révoltant de voir une telle richesse bradée à cause d’industriels peu scrupuleux. Tout ce que nous avons fait, c’est leur faire prendre conscience de la richesse de ce produit du terroir qu’elles ont sous la main. La vallée de Dades est le troisième pôle mondial de culture de roses après la Turquie et la Bulgarie. La qualité des fleurs produites à Ait Majber est unique grâce à la terre particulièrement riche en potassium, calcium et azote mais aussi grâce à ce climat semi-aride idéal pour nos roses qui sont exceptionnelles ! Nous exportons notre précieux élixir essentiellement pour l’industrie cosmétique et partout dans le monde en Amérique, en France, en Tunisie mais aussi au Maroc où le produit est proposé dans des magasins de commerce équitable. Depuis 2005, les femmes du village ont multiplié par trois le prix de vente de l’eau de rose. Elles ont dorénavant un salaire décent, des machines à laver, et la possibilité de se déplacer. Elles se rendent à des réunions, des salons professionnels… Elles se sont imposées face à leurs maris et ont compris qu’elles aussi avaient le droit d’exister. »
Forte de son succès, Naima bouillonne d’idée pour développer la production et la région. Pour elle, contrairement à l’huile d’argan (très exploitée au Maroc) que l’on peut remplacer par d’autres huiles nourrissantes, les vertus des roses sont irremplaçables ce qui en fait l’huile essentielle la plus chère au monde. Autant d’arguments pour convaincre l’association d’investir dans les multiples terrains vierges de la vallée pour y planter davantage de cet or rose.
L’objectif affiché est aussi économique qu’écologique. « Planter des rosiers préserve et enrichit la terre explique Naima. Cela protège aussi la dégradation des sols en pente typiques de la vallée, c’est une façon de prévenir des glissements de terrain lors des saisons des pluies. Mais surtout cela modifie les habitudes de certains villageois qui ne jettent plus leurs ordures n’importe où. »
Au cœur de la vallée de Dades, les roses ont imposé le respect de l’environnement tout autant que de celui des femmes.
© almaouja.com
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